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21 Sep

Lito et Euclides, les gardiens des Parnaíbas

Publié par Jean  - Catégories :  #aventure

 

Il y a bien  mille endroits au Mato Grosso où j’aimerais vous conduire, mais il y a une balade exceptionnelle à laquelle vous ne pouvez pas échapper. Je vous emmène aujourd’hui chez mes guides Bororos de la Serra das Parnaibas. Là-bas, au fond d’une vallée Lito et Euclides veillent sur une petite rivière diamantifère, le rio das Pombas.


Partons dès maintenant, car une longue marche à pied nous attend et dans ces reliefs un orage peut nous surprendre à tout moment en cette saison des pluies. La première partie du trajet se fait en jeep. Le paysage est somptueux dans une campagne verdoyante gorgée d’eau d’où se dégage une forte odeur d’herbe à miel. Seul le bourdonnement des insectes et le cri-cri des grillons donnent un relief sonore à ce paysage écrasé par un soleil de plomb. De temps à autre le chant étrange d’un couple de cariamas huppés trouble ce silence environnant. 

La première halte sera pour l’ Abrigo do Luis. A la fraîcheur des frondaisons et au pied d’une falaise formant un abri, nous aurons tout le temps d’examiner les empreintes de mains taillées dans la roche laissées par les premiers paléo-indiens, ainsi que le personnage principal brandissant une sorte de lance.

A partir de cet endroit, la Serra das Parnaibas dévoile déjà dans le lointain à fleur d’horizon ses falaises abruptes qui baignent dans un océan de forêt.

A la fazenda São Sebastião, on abandonne la jeep pour emprunter à pied un sentier qui s’enfonce dans la forêt et descend vertigineusement dans la vallée. C’est un sentier rocailleux et abrupt qui nous happe et nous sépare brutalement du reste du monde. Le paysage change, les bruits aussi. On entre dans une petite jungle, rien que pour nous, avec ses odeurs poivrées et humides. C’est le meilleur moment de la journée : des lianes tombent des houppiers en véritables serpentins, des broméliacées colonisent les branches des arbres, des fleurs sauvages semblent piquées çà et là dans la végétation. Un singe alerté par notre présence décampe avec sa colonie en un clin d’œil. Un papillon bleu fluo traverse devant nous de son vol saccadé. A l’approche de la rivière, les iguanes plongent dans l’eau.

Au fond de la vallée, on traverse à gué deux à trois fois le rio do Cervo. Le sentier qui conduit jusqu'à la cabane de mes guides  a le caprice de passer tantôt à droite, tantôt à gauche du rio.

Soudain les chiens aboient, c’est que nous somme proches, puis un toit de paille annonce l’habitation rustique de Euclides et Lito.  Les deux frères viennent à notre rencontre, les chiens aussi. Après les accolades de bienvenue, ils nous invitent à entrer dans leur maison. Attention, n’y entrez pas négligemment, vous allez avoir le privilège de pénétrer dans une habitation traditionnelle rare. Découvrez cet espace avec les yeux grands ouverts et sentez, sentez encore le mélange d’odeurs de café torréfié, de plantes médicinales, de mets qui mijotent sur un feu à l’ancienne. Chaque fois que je rentre chez eux, j’en ai la chair de poule, tant ce lieu est magique. Je reste longtemps muet tandis que mes yeux se nourrissent de tous les détails

qui caractérisent cette habitation. Son toit de palme tressé noirci par les fumées du foyer. A hauteur d’homme des couteaux et des sabres d’abattis qu’on appelle ici « facão » sont piqués dans la paille du toit. Sur chaque étagère, les objets de leur quotidien et des curiosités comme ces os de poulet auxquels ils attachent un pouvoir magique. Le sol de terre battue est d’une propreté remarquable, balayé dix fois par jour. Tout est bien rangé, les gamelles d’aluminium accrochées au mur, la grande jarre d’eau potable sur son trépied, le vieux transistor sur son napperon, Ici tout est beau, tout nous ramène à la terre, tout me rappelle mes origines paysannes.


Pendant qu’Euclides nous prépare un plat traditionnel, « carne seca com arroz » ( viande séchée et riz). D’ailleurs, vous avez remarqué le sac de toile de jute lourdement rempli que j’ai porté sur ma tête et descendu pour eux. Ce sont des aliments, cadeau que nous leur laissons de notre visite : viande, riz, huile, haricots noirs et des bougies, tout ce dont ils ont besoin.

Pendant que le repas se prépare, jetons un coup d’œil à leur jardin. Des pieds de café, des ananas, des bananiers et un petit potager dans le creux d’une vieille pirogue surélevée pour le mettre à l’abri des fourmis. Autour de la maison, sous le toit, des calebasses accrochées servent de ruches. C’est leur réserve de miel.

C’est le moment de regagner la maison, le repas est prêt. Chacun prend une assiette en alu sur le présentoir, une cuillère et se sert directement dans la marmite encore fumante. Ensuite il suffit de trouver un endroit pour s’asseoir. Moi, j’adore me placer sur le perron de la cuisine, face à la montagne, et là devant ce décor, le repas est magistral. Chacun a choisi sa place et l’on mange en s’interpelant dans une bonne humeur qui pousse à la rigolade. Vous n’imaginez pas le plaisir que  Lito et Euclides prennent à partager leur repas avec d’autres. Un petit café du cru passé dans la chaussette et très sucré, puis Lito qui sera notre guide dans cette région qu’il est le seul à connaître, me fait signe avec son sourire qu’il est prêt. Traversons encore une fois à gué le rio Claro et emboîtons lui le pas sur un sentier qui serpente dans la vallée jusqu’au rio das Pombas. Un passage étroit taillé dans la végétation qui s’élargit parfois au passage de la savane boisée, enchâssé entre des falaises de grès rouge d’où s’envolent en poussant des cris stridents de magnifiques couples d’aras. Ils nous survolent et retournent à leur nid. Chaque trou dans la falaise abrite un couple de ces volatiles. Du fond de la vallée montent les cris sourds et puissants de singes hurleurs. Un tatou coupe le sentier juste devant nos pieds. Soudain Lito toujours pieds nus attire notre attention sur les empreintes fraîches d’un jaguar. Ces fauves qui circulent principalement la nuit sont assez nombreux dans ces reliefs. Enfin le rio das Pombas, une des rivières diamantifères les plus mythiques du Mato Grosso. C’est un petit torrent qui a taillé une gorge dans le grès. Nous sommes ici à la source et les mines de diamants se situent plus en aval. Peut-être un jour aurons-nous l’occasion de les visiter !

Après tant d’efforts, une baignade s’impose dans ce cadre magique à mille lieux de toute trace de civilisation.

Au retour, nous aurons le privilège d’entrer dans la caverne sacrée des Bororos. C’est une cavité basse où il faut s’allonger sur le dos pour voir les gravures qui ornent sa voûte. Des lunes, des mains, … bref  encore des mystères et la journée a déjà passé hors du temps bercée par le chant des grillons et les cris des grands aras gardiens de cette vallée secrète. 

Demain une autre destination sur la piste des grottes ornées d’Amazonie…

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O
Encore un magnifique récit! et de belles photos! Un court petit voyage dans le Var m'a permis de visiter, à la Londe des Maures, un Jardin d'Oiseaux Tropicaux où j'ai pu voir des aras que j'étais loin d'imaginer si grands et si colorés. En lisant tes dernières pages, je me suis transposée dans une immense forêt, pas loin de rivières aux diamants et j'étais presque dans la vallée du rio das Pombas!<br /> Merci, je t'embrasse,<br /> Odette.
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À propos

Jean Périé. Diplômé de Préhistoire à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Une vie sur la piste des grottes ornées d'Amazonie, au Mato Grosso,(Brésil). Un inventaire des paysages et de l'Art rupestre témoins d'une occupation vieille de plus de 20 000 ans.