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27 Mar

Paysage ou labyrinthe ?

Publié par Mouriti  - Catégories :  #paysage

Dans mes premiers articles et au travers de quelques anecdotes, je vous ai raconté mes débuts. Je consacrerai encore des pages spéciales sur divers sujets qui me tiennent à cœur et que je veux vous faire partager tels la découverte des anciennes mines d’or de Cuiabá, l’histoire du train Madeira-Mamoré, seule voie ferrée construite dans la jungle amazonienne à la fin du 18ème siècle et dont la construction dura presque 100ans. J’ai été l’un des derniers voyageurs à emprunter cette ligne, il y a 30 ans, juste avant sa fermeture pour aller rendre visite à l’Evêque de l’Amazonie Don Rey, un tarnais comme moi. J’ai envie de vous raconter des moments drôles et d’autres moins rigolos, comme cette escalade sur trois cents mètres de paroi verticale qui faillit mal se terminer à cause d’un pisteur pris de panique qui m’abandonna au pied de la falaise…
Mais aujourd’hui, j’ai envie de vous faire entrer dans mon véritable projet, celui pour lequel j’ai ouvert ce blog intitulé « chasseur d’horizons ».

Dès le début de mes recherches sur l’influence des paysages en 1984, lorsque j’ai soutenu ma thèse, mes amis et quelques journalistes dans leurs articles m’ont spontanément donné ce surnom de « chasseur d’horizons ».  Je n’y avais moi-même pas pensé, mais il émaneait de ces deux mots tant de réalisme et de poésie qu’ils traduisent à merveille cette brûlante et fascinante attirance que j’éprouve pour les paysages et les horizons que sculptent les bordures des plateaux tabulaires du Mato Grosso. Paysages lointains toujours plongés dans un vaporeux bleu abyssal.

L’horizon est un gibier qu’il faut traquer, débusquer dans les profondeurs des reliefs couchés entre ciel et terre.  De leurs carcasses va soudain jaillir un nouvel horizon, irrésistible, envoûtant. Planté là, immobile, face à lui le regard fixe, fier comme un torero, le cœur s’emballe, l’émotion vous submerge, on sait à cet instant précis qu’il va falloir l’affronter. On va aller à sa rencontre. C’est cette aventure, cette même émotion répétée des milliers de fois qui conduisit les premiers paléo-indiens à occuper le Mato Grosso et le centre du continent sud-américain. En hommage à ces nomades, le titre de « chasseur d’horizons » pour mon blog s’imposa naturellement. 

L’homme est curieux de nature.  Et il n’y a pas a mes yeux de plus belle aventure que celle qui, aux temps préhistoriques a poussé l’homme à marcher, à se déplacer, à parcourir les paysages qui l’environnaient et finalement à franchir les horizons qui traçaient une limite à son regard. En ces temps-là les déplacements humains étaient avant toute une conquête de l’œil sur les horizons de paysage qui devenaient une donnée géographique évidente et essentielle… L’horizon, c’est cette ligne qui trace une limite à notre regard. Pour notre plus grand bonheur, cette ligne n’est pas statique et se déplace au fur et à mesure que nous avançons. C’est en recherche de nourriture ou entraînés malgré eux a la poursuite d’un gibier que nos ancêtres l’ont franchie et ont quitté le berceau africain pour explorer tous les autres horizons de notre planète.

Notre âme de chasseur d’horizons était née, motivée par cette recherche de nourriture, mais aussi par une insatiable curiosité qui accentua notre marche sur les cinq continents, vers des terres inconnues…  

Le seul moyen de savoir quel paysage nouveau se cache derrière la ligne d’horizon, c’est d’aller vers lui mais en prenant les points de repères nécessaires au retour. C’est là que le mobilier paysager (blocs isolés, failles, éperons rocheux, buttes, criques …) offrent des balises naturelles repérables d’assez loin, pour marquer un premier chemin. Celui-ci se transmettra oralement durant des générations jusqu'à ce qu’il soit remplacé par un autre plus accessible, plus praticable et plus court.  Le nomade n’a pas de perception aérienne des régions dans lesquelles  il s’aventure : les vallées, les reliefs le placent au centre d’un gigantesque labyrinthe. 

Pour se déplacer, tous les peuples de la terre utilisent un système adapté à leur niveau culturel de développement. Les indiens du Mato Grosso conservent de leurs ancêtres une excellente pratique du nomadisme et un remarquable sens de l’orientation grâce à la lecture des éléments contenus dans le paysage. Avec eux, j’ai appris à repérer et à utiliser ce mobilier paysager. Mes pisteurs m’ont souvent étonné par la connaissance qu’ils avaient des obstacles infranchissables dissimulés dans le paysage, qu’aucune carte ne mentionnait et qu’ils contournaient par une lecture précise du relief. Le balisage des itinéraires établis sur ces marques naturelles est imperceptible et mystérieux. Il n’est réservé qu’aux initiés ayant reçu le code d’utilisation. 

Au Mato Grosso, les paysages sont vastes et on s’y sent vite emprisonné. C’est en cherchant à s’en échapper qu’on apprend à le conquérir, à le consommer étape par étape, à le dépecer en horizons distincts pour franchir autant de paysages successifs emboîtés les uns dans les autres  C’est en redécouvrant ce mode de regard original avec lequel les paysages ont été abordés quelques dizaines de milliers d’années auparavant, que l’on comprend les mécanismes et les facteurs qui ont régi les déplacements de ces paléo-indiens. En expérimentant cette méthode,  je suis devenu comme eux un chasseur d’horizons. Cette approche a permis de reconstituer lentement étape par étape la progression de l’homme au Mato Grosso à partir de la Cordillère des Andes. 

Comme un fil d’Ariane, les horizons de falaises qui bordent les hauts plateaux du Mato Grosso offrent un réel chemin de 3 000 km à travers le pays entre les bassins de l’Amazone et du Paraguay…

                                                           … Le moment est venu pour moi de l’expérimenter dans son intégralité…

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A
Je trouve très intéressant ce que tu dis à propos du système d'orientation des indiens du Mato Grosso.Ceci m'a poussé à faire un parallélisme avec les populations autochtones de chez nous.Je me suis rappellé un petit livre de Mohamed Hamam intitulé "Les termes amazighs dans l'histoire et la civilisation du Maroc" où il disait:<br /> "Les amazighs imaginaient les éléments de la nature comme des parties de leurs corps".Ceci se reflèté dans leur language lorsqu'ils nomaient "le mobilier paysager".Exemples:<br /> Imi n'assif = la bouche du fleuve<br /> Agard n'tizi = le pharynx du col<br /> Tittaouine = les yeux,les sources(ce qui a donné le nom de la ville de Tetouan au nord)<br /> Ich'chawen = les cornes (deux sommets de montagne qui entourent la ville de Chawen).<br /> Merci et bonne continuation.
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À propos

Jean Périé. Diplômé de Préhistoire à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Une vie sur la piste des grottes ornées d'Amazonie, au Mato Grosso,(Brésil). Un inventaire des paysages et de l'Art rupestre témoins d'une occupation vieille de plus de 20 000 ans.